-Tribune libre- Le manque de stockage va-t-il bloquer la transition énergétique ?

Gregory Lamotte, Président de ComWatt, une entreprise spécialisée dans l’autoconsommation solaire, dresse l’état du stockage des énergies renouvelables en France et dans le monde, et les moyens de passer au 100% « vert ».

Gregory Lamotte, Président de ComWatt

Gregory Lamotte, Président de ComWatt.
DR

Produire de l’électricité avec du vent et du soleil coûte maintenant moins cher que de le faire avec du gaz, du charbon ou du nucléaire (1). De plus produire sur les lieux de consommation permet de réduire les frais de transport du courant qui représentent 50% de la facture d’électricité (2). Mais le dernier problème à régler est le manque de synchronisation naturel entre l’offre et la demande : ce n’est pas parce que le soleil brille ou que le vent souffle que les besoins électriques augmentent. Les capacités de stockage en France (et dans le monde) sont presque inexistantes (pas plus de 10 minutes de la consommation française). Ainsi, sans mécanisme efficace d’ajustement de l’offre à la demande en temps réel, les énergies renouvelables vont se heurter à un plafond de verre. Par exemple, compte tenu des faibles moyens d’ajustement dans les îles françaises, il y est actuellement interdit de dépasser le seuil de 30% d’énergie renouvelable (3); ce seuil est-il une fatalité ?
Est-il un mythe ou une réalité ? Est-il possible de le supprimer ? La batterie est-elle la seule solution ? Le prix du stockage va-t-il baisser assez vite ? L’hydrogène est-il le chevalier blanc qui va tout changer ?

A partir de quelle quantité d’énergie renouvelable fluctuante (solaire et éolien), le réseau rencontre des problèmes insurmontables de stabilité ?

Dans une étude de l’Ademe en 2016 et confirmée en 2018 (4), une modélisation de la production et de la consommation à travers le système électrique français a été faite, par tranche de 30 minutes, du 1er janvier au 31 décembre. Les conclusions de cette étude montrent qu’il est possible d’avoir 95% d’énergie renouvelable en 2060 pour un prix moins cher qu’aujourd’hui en France. Selon cette étude, les capacités de stockage actuels ainsi que ceux prévus dans la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) permettent de stabiliser le réseau à des prix abordables.
Une autre étude réalisée en Australie (5) démontre qu’à grande échelle, jusqu’à 50% d’énergie renouvelable dans le mix énergétique, les moyens actuels pour stabiliser le réseau sont suffisants. En France, où nous avons moins de 20% de renouvelable, il y a une marge considérable avant de rencontrer le moindre problème de stabilité.
Le plafond de verre de 30% est donc un mythe mis en place par les énergéticiens qui produisent de manière centralisée et qui craignent de perdre la majorité de leurs parts de marché.
La technologie va donc permettre d’atteindre 100% d’énergie renouvelable, la prochaine question est de savoir quels sont les moyens de stockages les plus adaptés et qui vont donc connaître les plus grands développements ?

Quels sont les 4 principaux moyens de stockage de l’électricité ?

STEP, abordable mais sans potentiel de déploiement
Le stockage sous forme de STEP (Stations de transfert d’énergie par pompage) (6) représentent 97% des capacités de stockage d’électricité connectées dans le Monde en 2019. Ce type de stockage est très utilisé car il est à un prix abordable de l’ordre de 100€/MWh (7). Malheureusement il nécessite des sites dans des zones avec de forts dénivelé (zones de montagne), ainsi son potentiel de développement est très réduit. D’ici 2030, selon la PPE, la puissance maximum de ce type de stockage va passer de 4,5 à 6 GW.

Batteries chimiques, faciles à déployer mais encore trop chères
Les batteries (plomb, Lithium ion) sont une alternative beaucoup plus facile à déployer à grande échelle, malheureusement le stockage dans ce type de technologie est encore très onéreuse. En effet dans des batteries domestiques le prix de stockage est de plus de 200 €/MWh selon l’étude du LCOS de la Banque Lazard. (8) Stimulé par le marché du véhicule électrique qui réalise des investissements colossaux dans des giga-usines, ce type de stockage va baisser de 10% à 20% par an, ce qui en fera un moyen abordable dans une dizaine d’années pour des installations de grande taille. D’ici 2030, la PPE estime que ce type de stockage sera capable d’absorber en pointe 2 GW environ.

Hydrogène, la belle endormie impossible à réveiller
Depuis 40 ans, les experts présentent le stockage hydrogène comme le moyen de stocker l’électricité qui présente le plus de potentiel. Malheureusement cette technologie a un prix de revient qui baisse trop lentement (estimé à env 1000€/MWh en 2019) (9) Le prix de cette technologie ne baisse pas vite car l’industrie automobile a choisi la batterie lithium ion comme moyen de stockage. Privé ainsi d’investissement massif, l’hydrogène risque de rester une technologie de niche, à des prix trop élevés pour le marché de masse.

Le déplacement de l’énergie utile, simple, économique mais encore peu déployé
Ce type de stockage est le plus abordable, le plus simple à déployer à grande échelle, mais aussi le moins déployé et le moins connu. Son principe est pourtant simple, l’idée est de synchroniser l’offre et la demande d’électricité en temps réel en modifiant le moment où les équipements consomment de l’électricité. Par exemple une famille de 4 personnes a besoin de 200 litres d’eau chaude par jour en moyenne. Pour chauffer l’eau, le cumulus électrique, qui est une sorte de grand thermos, a besoin de faire fonctionner sa résistance électrique 4h toutes les 24h. Il suffit de choisir correctement ces 4h au moment où l’énergie est disponible, 4h de suite ou 4 fois 1 heure. L’objectif est d’utiliser l’énergie au moment opportun pour le réseau électrique sans impacter le niveau de confort des utilisateurs.

Il existe en France 15 millions de cumulus, si on décide de les démarrer tous ensemble, cela représente un appel de puissance équivalent à 50% du parc nucléaire, une sacrée batterie !
Il est également possible de déplacer les consommations du chauffage électrique, des congélateurs, des réfrigérateurs, des climatisations, des pompes à chaleur, des voitures électriques, des lave-linges, des lave-vaisselles mais aussi des équipements industriels. Le potentiel de stockage de cette énergie utile est gigantesque et le prix est très bas car les moyens de stockage, sont déjà installés, nécessitent qu’un pilotage adapté et automatique. Avant l’émergence des objets connectés, ce type de pilotage était hors de prix. Maintenant, avec le fort taux de pénétration d’internet dans les foyers et la maturité des objets connectés, ce type de stockage devient le moyen de stocker l’électricité non seulement le moins cher (env 20€/MWh pour la solution de Comwatt) mais également avec une capacité de stockage immense estimée à 10 GW dans l’industrie et 50 GW dans le résidentiel (soit 5 fois plus que tous les autres moyens de stockage cumulés).
La France a perdu la première bataille économique des énergies renouvelables, car il fallait être capable d’être le leader dans la fabrication de machines-outils et d’être capable d’investir dans de grands sites de production industriels. Sur ce terrain, plusieurs pays (Allemagne et Chine en tête) se sont montrés plus performants. La seconde bataille économique sera dans le secteur du numérique. Sur ce terrain, la France a beaucoup d’atouts, d’excellentes écoles d’ingénieur informatique, des compétences clés en intelligence artificielle. La France a donc les moyens cette fois de devenir leader mondial.

Grégory Lamotte

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1) Voir le LCOE 12.0 publié tous les ans par la Banque Lazard.
2) Hors taxe, 50% de la facture d’électricité représentent le coût pour son acheminement et 50% pour la production de cette électricité (voir cet article du journal Le Parisien).
3) Un seuil unique de pénétration des EnR de 30 % prévu par l’arrêté du 23 avril 2008 dans les zones non-interconnectées au réseau métropolitain continental.
4) Etude de l’ADEME : dans le scénario le plus efficace en termes de coût pour la collectivité, les énergies renouvelables (EnR) représentent plus de 95% de la production d’électricité française en 2060, leur part étant de moins de 20% aujourd’hui.
5) Etude Australienne : jusqu’à 50% de solaire & éolien, pas besoin de stockage.
6) Parmi les différentes techniques de stockage d’électricité, les STEP apparaissent en effet comme les solutions les plus matures et les seules à même d’assurer une gestion de l’énergie de manière prévisible à un niveau régional, voir annexe. Voir cet article
7) Le prix du stockage dans les STEP est décrit dans ce rapport
8) Le prix du stockage est élevé selon cette étude mais va baisser de 10% à 20% par an, ce qui en fera un moyen abordable dans une dizaine d’années pour des installations de grande taille.
9) Selon une étude du département US de l’énergie dans ce rapport
10) La puissance moyenne des cumulus est de 2 kW. 15 millions de cumulus vont donc représenter une puissance de 30 GW, soit environ la puissance de 30 des 62 centrales nucléaires françaises.
11) Etude de l’ADEME de 2018 : Il ressortait que, dans le scénario le plus efficace en termes de coût pour la collectivité, les énergies renouvelables (EnR) représentent plus de 95% de la production d’électricité française en 2060, leur part étant de moins de 20% aujourd’hui.

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